Médiation familiale

 

Texte de Roseline Edelman - Médiatrice familiale - DEMF

 

Introduction*

La richesse de notre existence réside pour l’essentiel dans les liens que nous tissons avec les autres: amis, famille, collègues de travail, voisin; à chaque fois différents, particuliers; solides ou ténues, graves ou drôles, les relations humaines sont le sel de la vie.
Lorsque la maladie affecte durablement le caractère ou le jugement d’une personne, l’expérience montre que les contacts s’espacent. La famille proche reste le soutien fidèle au-delà des difficultés relationnelles.

Dans mon travail d’infirmière auprès des patients en psychiatrie, j’observe cette étonnante contradiction: ce lien familial, partie prenante des difficultés existentielles de la personne, est, au bout du compte, tout ce qui la rattache à la vie extérieure à l’institution.
Ce mystérieux fil d’Ariane nous guide et nous perd au long de notre vie.
Il nous guide en ce qu’il nous entraîne dans la rencontre avec les autres; il nous perd, car le modèle intégré dans l’enfance, parfois nous amène à construire des liens qui nous font souffrir.
Il en va ainsi du lien amoureux. Deux êtres se lient, puis le lien s’emmêle, et pour défaire le nœud il leur faut se délier, pour se relier à nouveau autrement, ou ailleurs.

Il arrive que le lien soit corrompu: il s’est construit sur le mensonge; il a évolué sur un mode persécuteur… Il faut avoir le courage de le rompre, sous peine d’y laisser son équilibre. Rompre, pour pouvoir se reconstruire, avant de tisser d’autres liens.

Lorsque le couple se constitue, il se crée une nouvelle entité. Chacun arrive avec son modèle de couple: reproduction du modèle parental, à l’identique ou son contraire, influencé par les désirs conscients et inconscients de chacun. Chaque couple a son mode de fonctionnement, sa culture propre, plus ou moins ouvert vers l’extérieur, chacun ayant plus ou moins d’indépendance.

Dans notre société, le couple est investi de nombreuses missions. Si le nombre de mariage a diminué, les attentes à l’égard du couple n’ont cessé d’augmenter: à la fois entité économique, il représente le refuge face à un monde difficile: l’équilibre affectif, l’éducation des enfants, l’épanouissement culturel, « la conversation amoureuse comme finalité du couple », et surtout, le désir ne doit pas céder à l’usure du temps.

L’amour reste la grande affaire du couple.
Quand arrive la séparation, la perte qu’elle entraîne touche tous les domaines investis par la relation, qui pour certains représente tous les investissements. L’écroulement qui s’en suit est à la mesure de la difficulté à se retrouver seul, sans partenaire et sans cette entité « couple » à laquelle on s’est identifié. La réorganisation familiale qui touche les enfants entraîne souvent des conflits, avec un risque de rupture de lien de l’un des parents, ou le risque de voir les enfants otages du conflit des parents. Dans les situations de conflit, le lien, s’il n’est pas brisé, est souvent mis à mal.

La médiation familiale, depuis le début de l'Asssociation P.E.M., s’est préoccupée du devenir des liens à l'enfant dans le cadre de la séparation des parents. Préserver les liens des enfants avec leurs deux parents est l’un de ses objectifs majeurs; pour cela, le maintien d’une forme de lien entre les parents est nécessaire. La médiation familiale va accompagner la dé-liaison en ayant à l’esprit, comme le dit sa définition: la reconstruction de liens différents qui permettront aux enfants de garder, dans les meilleures conditions possibles, les liens si précieux avec leur père et leur mère.

La médiation familiale propose, telle que la définition en est déposée dans Wikipedia, est une démarche pour accompagner la séparation du couple. Elle invite les personnes à entrer dans un processus qui leur permettra à la fois en se déliant, de se différencier l’un de l’autre, de reconnaître l’autre comme différent de soi. Entre ces deux personnes différenciées, une rencontre est possible et de cette rencontre peuvent naître des liens nouveaux.

Le médiateur familial accompagne, à travers les étapes du processus de médiation familiale, l’émergence de l’individuation, ou de la pensée de chacun. La confrontation, dans un cadre sécurisé, des différences de point de vue et de ressenti, amène à accepter la singularité de chacun dans la famille, et peut transformer les relations entre les personnes.

Dans une première partie nous étudierons les liens familiaux: la naissance du lien, son développement. Nous verrons l’évolution sur le plan sociologique, l’incidence sur les relations futures des premiers liens, et ses différentes formes.
Dans une deuxième partie nous aborderons la séparation: les remaniements psychologiques qu’elle suscite, les répercussions au niveau des enfants.

Dans la troisième partie nous dirons en quoi la médiation familiale est un lieu d’émergence de la pensée de chacun: comment elle favorise le dialogue; la fonction du cadre, du processus, de la position tierce; et comment elle est un facteur de construction de liens.
Pour respecter l’anonymat des personnes, les noms et prénoms utilisés sont fictifs. Certaines se sont aussi exprimées dans ce
forum de la médiation familiale ouvert au public ou dans le cadre de SOS Enfants du divorce.

 

 

Les liens familiaux

L’importance des liens familiaux est reconnue par le législateur. En effet la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, insiste à plusieurs reprises sur le maintien des liens de l’enfant avec ses deux parents et ses grands-parents; il est demandé à chaque parent de respecter les liens de l’enfant avec l’autre parent.

La multiplicité des formes nouvelles de famille, amène des formes de liens nouveaux: beaux-parents, demi-frères, beaux-frères, « beaux-grands-parents »… Le législateur a jugé utile de réformer la filiation par voie d’ordonnance en 2005, de manière à simplifier l’établissement de la filiation, et établir l’égalité entre filiation naturelle et filiation légitime.

 

 

Constitution du lien

Dans Le Petit Robert , la définition de lien contient plusieurs notions voisines. Le mot exprime à la fois l’objet physique: cordon, ficelle, sangle, chaîne; et l’action de relier: lien de cause à effet, lien de parenté, lien social . Le lien qui nous occupe n’a pas de réalité physique, et pourtant, sa force témoigne d’une puissance importante, tantôt moteur pour l’action, élan de vie, tantôt force d’inhibition, d’aliénation, de destruction. Nous verrons toutes ses forces à l’œuvre dans les liens familiaux, successivement ou simultanément

Les liens familiaux, sur le plan juridique, sont régis par le code de la famille qui énonce les droits et devoirs de chacun. Ces liens juridiques garantissent la place de chacun dans la famille, instituent l’interdit de l’inceste et instaurent l’obligation de soins. Ainsi la filiation, fondement de l’appartenance familiale, est aussi un élément clé de la construction identitaire. Les autres liens: fraternel, trans-générationnel, renforcent le sentiment d’appartenance à un groupe donné: la famille.

Le code de la famille sert de cadre à ce vécu affectif, constitutif du développement de l’être humain. Ces expériences relationnelles, vécues par l’enfant à l’intérieur de la famille, forment un apprentissage pour les relations qui ultérieurement constitueront son ou ses appartenances sociales, ainsi que ses relations affectives.

La famille, comme tout groupe humain, se constitue à travers une histoire, quelque fois confondue avec la grande Histoire. Elle est porteuse de valeurs, de croyances, de traditions qui forment une culture propre qui se transmet de génération en génération.

La sélection de ce qui sera transmis et la manière dont les évènements seront relatés constituent la mémoire familiale. Robert Neuburger, Psychiatre, psychanalyste et thérapeute de couple. définit ainsi la mémoire familiale comme: le processus par lequel on est autorisé ou non à disposer des informations, à y accéder.

Cet ensemble d’éléments définit des règles de comportement concernant le mode de relations de chacun à l’intérieur de la famille, avec la famille élargie, avec le reste de la société: tout ceci forme le mythe familial, c’est à dire: l’élément organisateur, totem, signifiant familial dit encore R. Neuburger.


Le mythe n’est pas explicite, mais il entraîne des rituels qui peuvent être plus ou moins rigides. Mythe et rituel conditionnent, en partie, à la fois la manière d’appartenir à la famille et la facilité, ou non, avec laquelle on va pouvoir prendre son indépendance; ils ont à voir avec la forme du lien. Le couple, dans la rencontre, va confronter le mythe de chacun, à travers l’acceptation ou non des rituels de chaque famille.
Mais revenons au début, aux origines du lien: au commencement était l’attachement.

 

La première forme de lien repérée est l’attachement. Le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby définit l’attachement comme le fait de: rechercher et maintenir la proximité avec un autre individu. L’établissement du lien d’attachement demande des interactions fréquentes de la même personne avec le nouveau né. L’attachement est réussi si la réponse de l’entourage, la mère ou ce qui tient lieu de mère, aux sollicitations du bébé est adéquate, ceci permet à l’enfant de construire un sentiment de sécurité et de confiance en soi.

Les observations de J. Bowlby sur le nourrisson permettent d’affirmer que l’attachement est un besoin fondamental pour le développement du nouveau né, relativement indépendant de la recherche de la satisfaction alimentaire; au même titre que le besoin de soins.

Le neuro-psychiatre français Boris Cyrulnik, dans Sous le signe du lien , parle d’une « période sensible »,les premiers jours après la naissance, pendant laquelle l’établissement de ce lien particulier est facilité. L’observation des prématurés, séparés de leur mère, isolés dans la couveuse, a montré des troubles importants au niveau des rythmes du sommeil et de l’alimentation, et du tonus musculaire. La publication de deux pédiatres anglais sur cette période sensible a interpellé les praticiens en néonatologie. Ces derniers s’efforcent, autant que possible de permettre aux mères d’être présentes, d’avoir une place auprès de leur bébé malgré l’environnement technique. On a pu observer une réduction sensible des troubles, au point que le pronostic de la prématurité en a été amélioré.

Dans une étude reprise par J. Bowlby, il est question de la relation au père. Parmi les autres figures, qui suscitaient le plus fréquemment un comportement d’attachement, celle du père était la première.
Le père participe dès le début de la vie à la construction du lien avec l’enfant; dans une relation chaleureuse et sécurisante avec la mère, il forme un environnement protecteur qui permet, lorsque la mère est sereine, une qualité d’attachement que J. Bowlby nomme: « attachement sécure ».

Lorsque les conditions de vie sont difficiles, que la mère est anxieuse, que la relation au père est conflictuelle, et surtout lorsque la mère n’arrive pas à faire barrage à son angoisse quand elle s’occupe de l’enfant, le type d’attachement est dit « insécure ».
La qualité de l’attachement va influer sur la capacité de l’enfant à se séparer de la mère à l’étape suivante de son développement.

L’enfant grandit, son univers s’enrichit d’expériences sensorielles, ses capacités motrices se développent, son regard se précise vers le monde, au-delà de la figure maternelle. Il prend conscience que celle-ci, parfois, s’absente, puis revient; il est toujours là, vivant, même quand elle n’est pas là. Il fait l’expérience qu’il est séparé de la mère. Il s’attache à un objet extérieur à lui, auquel il fait subir toute sorte de traitement: caresser, tirer, mordre, jeter, sucer…Winnicott nomme cet objet: « objet transitionnel ». Il parle de cette étape, caractérisée par la mise en œuvre par l’enfant de stratégies pour s’ouvrir au monde: indique le passage, la transition chez l’enfant d’un état où il est en fusion avec la mère à un état où il se distingue d’elle et entre véritablement en relation avec elle.

La séparation progressive de la figure d’attachement, amène l’enfant à accéder à son individualité propre; elle permet la distance indispensable à la constitution d’un lien; elle isole et relie à la fois. Dans cet isolement se crée un espace propice à la découverte d’un soi distinct.
Le lien qui se construit avec la mère sera marqué par la manière de communiquer de celle-ci; qu’elle soit douce, agressive, joyeuse, sur-protectrice, ceci va colorer la relation et marquer les rencontres futures.

L’enjeu de cette période de développement est important puisqu’il s’agit pour le petit d’homme de s’ouvrir au monde, d’élargir son champ d’interactions. C’est un double mouvement qui le porte vers les autres, et, dans le même temps lui permet de développer sa propre individualité. Ce processus d’individuation se poursuit tout au long de la vie.
Les différentes étapes du développement de l’enfant sont marquées par cette ambivalence: le désir d’aller vers le monde, de découvrir du nouveau, et la peur de quitter le cocon, la sécurité, ce qui est connu. L’attitude des parents, de la mère en particulier, va renforcer l’une ou l’autre de ses propositions.

Le rôle du père est indispensable dans ce processus de séparation d’avec la mère. Le complexe d’œdipe est une étape importante du développement de l’enfant, pour lui permettre d’accéder à la dimension symbolique à travers le langage et la référence à la loi. Le père assure sa fonction de tiers séparateur par la qualité de sa relation avec la mère, un lien étroit avec l’enfant qui favorise le détachement de la mère, amène l’enfant à abandonner son sentiment de toute puissance et lui permet en toute sécurité d’ouvrir son champ d’expérience.

Le mythe familial joue un rôle important: l’extérieur est vécu comme dangereux ou au contraire, la curiosité et l’esprit d’initiative sont valorisés. L’enfant va grandir dans une culture qui autorise ou même favorise la différenciation, ou alors il va intégrer des peurs face à tout désir qui ne serait pas conforme aux attentes parentales.

Pour se construire il est nécessaire de sortir de l’indifférenciation, de se séparer; toute la vie, la tentation de la fusion nous guette, avec la nostalgie inconsciente de cette relation des premiers moments avec la mère. Ainsi nos rencontres amoureuses sont marquées par ces souvenirs inconscients. Le choix d’un partenaire, le type de relations établit dans le couple, tout ceci reflète l’histoire de notre vécu au sein de la famille.
Outre les attentes familiales, l’individu est soumis à des normes sociales. Sur le chemin de la construction de son individualité, il va devoir composer aussi avec les attentes sociales.

 

L’évolution de la société a influencé l’évolution de la famille, qui elle même a influencé certaines propositions de lois sur la famille, qui à leur tour, vont modifier des usages. Ainsi, l’augmentation du travail des femmes, l’accès de celles-ci à la contraception, ont profondément changé les rapports homme-femme. Les attentes à l’égard du couple se sont déplacées de la famille vers l’épanouissement de l’individu. Cette évolution a modifié la famille qui est devenue moins stable.

La question des ruptures familiales interpelle tous les acteurs sociaux; notamment depuis le constat que 50 pour 100 des enfants de familles séparées ne voient plus un de leur parent, principalement le père, au bout de quelques années. Ces chiffres ont alerté le législateur et le droit de la famille essaye de protéger les enfants des ruptures de liens préjudiciables à leur développement.
Ces dernières années le droit de la famille a beaucoup évolué. L’esprit qui imprègne ces réformes désire simplifier les procédures pour limiter les risques d’envenimer le conflit; en effet les procès interminables sont souvent responsables des ruptures de liens. La loi met l’accent sur la continuité de la responsabilité parentale, quel que soit le statut matrimonial des parents.

De nombreux enfants naissent hors mariage, les unions sont de plus en plus courtes; cette instabilité fragilise les enfants sur le plan affectif s’ils ne sont pas assurés de la permanence des liens avec leurs deux parents et avec la famille de ceux-ci. Le sentiment d’appartenance familiale est moins marqué, or celui-ci sert de modèle aux affiliations sociales de la vie adulte; l’enfant peut se sentir fragilisé aussi sur le plan social. La permanence des liens avec les deux garantit, outre la sécurité affective, la stabilité dans la construction identitaire.

La notion de famille s’est déplacée du couple vers l’enfant: c’est la venue de l’enfant qui fonde la famille. Ainsi, la sociologue française Irène Théry, dans Le Démariage, constate : « à l’idéal d’indissolubilité du mariage, le temps du démariage substitue progressivement celui d’indissolubilité de la filiation, comme le pivot de la sécurité symbolique face à l’inanité de l’être et à la fugacité du temps.».

La sociologue rapporte les deux représentations du divorce qui s’opposent dans les années 80: d’une part ce qu’elle nomme: divorce-rupture et logique de substitution . Cette représentation privilégie la stabilité sociale, avec un parent, représentant légal, seul détenteur de l’autorité parentale; elle encourage l’investissement affectif du nouveau conjoint du parent gardien et régit les relations avec l’autre parent par le droit de visite.

D’autre part, elle appelle: divorce-réorganisation et logique de pérennité, une vision dont l’argument principal est le droit de l’enfant à conserver des liens avec ses deux parents, l’autorité parentale est conjointe. La réorganisation de la vie de l’enfant est envisagée dans l’objectif de pérenniser les liens de filiation. La nouvelle loi sur le divorce privilégie cette vision des choses, renforcée par une loi sur la filiation.

Le législateur a pris acte des mutations profondes concernant la famille. Il reconnaît que, parmi les conséquences de la séparation du couple, se trouvent des aspects qui échappent au droit, qui sont de l’ordre du développement de l’enfant par exemple. Il accepte d’inscrire dans la loi le principe de l’autorité parentale conjointe; il reconnaît une place à la médiation familiale pour accompagner les parents dans la réorganisation de la vie des enfants suite à la séparation des parents.

Les promoteurs de la médiation familiale de l'Association Parents-Enfants-Médiation ont, dès l'origine de la création de cette structure spécialisée, favorisé le maintien des liens de l’enfant avec ses deux parents. Ces premiers praticiens ont impliqué les compétences des deux parents, l'ensemble de leurs compétences, dans un principe de complémentarité des responsabilités entre la mère et le père, afin qu'émergent entre eux deux des solutions consensuelles. Comme le souligne Alain Bouthier, un des premiers acteurs de la médiation familiale auprès de qui j'ai effectué toute mon étude de terrain de médiatrice familiale pour obtenir mon diplôme : « L’appropriation de l’enfant par l’un de ses deux parents ou l’une de ses deux familles parentales, est source de contentieux. Les conséquences parfois lointaines, sont la perte de repères et d’identité des enfants et des jeunes. Ceux-ci sont privés de transmissions et relations intergénérationnelles, perdent des valeurs, développent des sentiments négatifs d’être ainsi, issus de parents qui s’agressent entre eux et se disent aussi, à leurs yeux et à leurs oreilles, agressés par la société.».

Parmi les transformations, ou mutations, qui ont traversé la société, il en est une, moins évidente peut-être, parce que plus intime: celle qui touche à la nature même des relations intra-familiales. Nous allons nous pencher de plus près sur l’évolution des liens familiaux.

 

Evolution du lien

Le grand changement de la deuxième moitié du XXème siècle vient du désir des pères de prendre une place différente auprès de leurs enfants que celle occupée par leur propre père, à savoir: incarner l’autorité et l’ordre dans la famille.
Ce rôle les confinait dans une relation distante avec leurs enfants, leur interdisait de s’occuper d’eux dans la petite enfance, les privait de la joie de s’impliquer activement dans des tâches traditionnellement réservées aux mères. Or comme nous avons pu le constater, le lien se met en place très tôt.

Dans le même temps les femmes revendiquaient de pouvoir travailler, faire carrière au même titre que les hommes; la maternité n’était plus le but ultime de leur existence; grâce à la contraception, elles pouvaient désormais choisir le moment de la venue de l’enfant. Cette coïncidence a permis aux pères de prendre une place plus importante, notamment auprès des nourrissons.

Ces pratiques vont peu à peu modifier les relations entre les parents et les enfants. La structure de la famille est moins rigide, les rôles sont moins cloisonnés dans des registres strictement définis; les contacts sont plus spontanés; les relations s’enrichissent du plaisir d’être ensemble. Cette souplesse permet une créativité dans la relation.

Les activités sportives ou ludiques rassemblent la famille, rapprochent les pères de leurs enfants. Ceci explique aussi le déchirement que représente pour les parents le fait de ne plus partager le quotidien de leurs enfants, lorsque survient la séparation.

Cette évolution de la nature des relations affectent aussi les liens avec les grands-parents. Ils apprécient de voir grandir leurs petits-enfants sans la pression de la responsabilité parentale. L’allongement de la durée de vie leur laisse le temps et la santé pour vivre avec eux des moments de complicité à travers des activités très variées, fonction des goûts, des passe-temps de chacun.

Tout ceci concourre à former chez l’enfant, un goût pour la liberté, la spontanéité dans les relations, qui ne sont plus marquées, comme autrefois par des obligations familiales. Cette évolution affecte la façon d’être parent, le rapport à la responsabilité parentale.

 

Ce concept est d’apparition récente: fin des années 50, traduit du néologisme « parenthood » , formé par le psychanalyste américain Thomas Benedekt. Son usage en France reste rare et réservé à l’étude des pathologies jusque dans les années 80, où il est utilisé par Serge Lebovici, professeur de psychiatrie et psychanalyste, pour désigner la condition parentale de manière générale, ainsi que dans les parutions de l’Ecole des Parents et des Educateurs. Il recouvre la fonction parentale, du coté de la responsabilité par rapport à l’enfant, mais surtout, il exprime la complexité de l’être parent.

Il englobe un processus de maturation qui amène l’homme et la femme à devenir parents, indépendamment du mode de procréation de l’enfant, maturation qui évolue avec l’âge de l’enfant. Il prend en compte les multiples dimensions de la fonction parentale: biologique, pour le père géniteur; sociale, pour celui qui partage le quotidien de l’enfant; symbolique ou généalogique pour celui qui l’inscrit dans une lignée.

En effet, l’éclatement des familles fait que tous les aspects de la fonction parentale ne sont plus obligatoirement rassemblés dans la même personne, ou dans le même lieu. Ainsi un enfant peut vivre avec deux adultes, dont l’un est investi de l’autorité parentale, l’autre non, mais il sera en position de parent face à l’enfant.

Le concept de parentalité marque une différence, dans la manière d’être parent, en rapport avec les évolutions dans la famille. La responsabilité du bien-être, de la sécurité physique et morale de l’enfant en est le fondement; mais ne suffit pas à rendre compte de l’investissement que représente l’enfant désiré, devenu l’enfant-roi, pour nos contemporains. Le soin apporté à son éducation s’étend à tous les aspects du développement: culturel, psychologique et bien entendu le suivi scolaire requiert une attention particulière.

La contre partie de ces évolutions est le manque de repères dans les rôles et fonctions des pères et mères. Dans le passé, chacun avait une place clairement définie: la mère, dans la maison, du côté du bien-être et de la tendresse; le père, apportant la vie extérieure, représentant l’ordre et l’autorité.

Aujourd’hui, chacun construit son rôle de parent en fonction de ses représentations et de ses aspirations à être parents. La question est importante, en témoigne le nombre de revues spécialisées et de publications comportant une rubrique sur l’éducation. Pour se développer harmonieusement, l’enfant a besoin de repères, de limites, autant que de liberté et de créativité.

Ces changements se sont opérés, souvent, en réaction à une éducation rigide mal vécue. Le contre pied systématique a produit des effets négatifs; les enfants se retrouvent à l’adolescence, persuadés de leur toute puissance, incapables de supporter les limites de la vie en société et les contraintes de la réalité.

La sur-protection qui a entouré le développement de l’enfant, dans certains cas l’empêche de quitter le cocon familial: une relation de dépendance s’installe.
Nous voyons que le seul désir de bien faire ne peut empêcher la constitution de lien problématique


 

Les avatars du lien


Dans la construction du lien, l’attachement est une étape indispensable. Lorsque pour des raisons de maladie de la mère ou du nouveau-né, il ne peut avoir lieu dans de bonnes conditions, le lien sera plus difficile à établir, mais le temps et la persévérance de la mère finiront par combler cet handicap du départ.

La situation est différente si les troubles dans l’environnement du bébé se poursuivent, si la mère et le père, eux-même trop préoccupés par des difficultés existentielles, ne parviennent pas à protéger l’enfant de leurs peurs et de leurs angoisses, le sentiment d’insécurité restera une composante des relations affectives futures.

Il est des situations extrêmes où le lien d’attachement ne se construit pas, le développement de l’enfant en est entravé.
Dans le passage difficile que constitue la sortie de la fusion, il arrive que les parents, ne puissent pas accompagner l’enfant vers l’état de personne séparée, qui est la condition indispensable à l’établissement d’un lien.

Soit les parents fonctionnent eux-même dans la fusion, et ne connaissent pas d’autre mode de relation; soit il n’y a pas de place pour le père dans la relation entre la mère et l’enfant, qui dans ce cas, reste prisonnier de la mère. Les raisons en sont multiples, il s’agit à chaque fois de la conséquence de relations difficiles vécues par les parents qui, soit reproduisent leur histoire, soit essayent de combler les manques de leur enfance.

La construction du lien se fait progressivement et le plus souvent de manière plus nuancée que décrite précédemment, car en grandissant les enfants rencontrent d’autres adultes, et des enfants qui enrichiront leur vie relationnelle. La situation se complique lorsque l’enfant devient un enjeu de pouvoir entre les adultes.

 

Nous avons vu les difficultés qui interviennent dans la construction du lien, il existe des situations où un lien bien établi peut se voir perverti par une ambiance particulière de conflit larvé, de lutte de pouvoir entre les membres de la famille. Dans certaines familles, il n’est pas possible de dire ouvertement ce que l’on pense, de demander clairement ce que l’on désire. Cela est soumis à des codes implicites, nécessitant des alliances et des manipulations affectives.

L’enfant grandit dans cette atmosphère de non-dits, de confusion, sans éléments de comparaison, sans pouvoir prendre conscience des aménagements que subit la sincérité et la spontanéité de sa relation aux membres de la famille. Il arrive que l’enfant devienne l’otage d’un conflit entre les grands-parents et les parents, un frère et une sœur …

Lorsqu’un couple se forme chacun amène avec lui tout le vécu relationnel propre à sa famille; le lien amoureux sera coloré par ces particularités. Il arrive que le mode de relation de l’un soit très pénible à l’autre, au point de menacer l’existence même du couple si l’écart entre les deux cultures relationnelles est trop important.

Dans certain cas le vécu fusionnel de l’un entrave la liberté de l’autre, qui se sent surveillé, contrôlé. Dans un autre cas c’est au contraire la froideur, la distance qui est reprochée; une autre fois c’est le chantage affectif qui sera insupportable.
L’ambiance du couple devient étouffante, la seule issue semble être la rupture, ou…


La séparation

La séparation, dans le langage courant, désigne l’action de disjoindre ou partager des éléments, ce qui donne la possibilité de les distinguer, de les classer. Lorsqu’il s’agit du couple, la signification englobe aussi l’aspect psychologique de la séparation. Implicitement, elle fait référence aux mécanismes psychologiques des premières séparations dans le développement de l’être humain.

 

Rupture ou séparation

La rupture apparaît comme un évènement brutal, une décision irrévocable sans retour en arrière possible. Elle ressemble à la fuite dans l’aspect soudain et le sentiment d’urgence et de survie qu’elle évoque. Elle peut avoir été préparée de longue date dans une semi conscience, puis un jour, la situation apparaît inacceptable, la relation à l’autre intolérable. La douleur de la perte ne fait plus peur par rapport à la souffrance d’un présent englué dans la confusion.

Simone Barbaras a écrit La rupture pour vivre. Le titre évoque en lui-même les raisons d’une décision aussi définitive: quelque chose d’essentiel en soi est en jeu: l’autonomie, l’équilibre… Il est question de la vie psychique, parfois de la liberté d’action; dans des cas extrêmes il s’agit de s’extraire d’un climat de violence.

Dans son livre, S. Barbaras raconte les circonstances de la décision de rompre d’une femme, lors d’un colloque au Brésil. Cette femme supportait de moins en moins le chantage morbide de son mari, mais n’avait pas concrètement envisagé de séparation. Elle se trouve à Brasilia, au musée d’art moderne, avec un étranger.

Elle se présenta à son tour, lui parla du colloque auquel elle avait participé à Rio et, bizarrement, ajouta :
- Je suis mariée.
Elle me dit qu’à peine ces paroles prononcées elle s’entendit ajouter pour elle-même: - mais je vais le quitter. C’est moi qui vais le quitter.
Elle déclara à voix haute et claire :
- J’ai quitté mon mari.
L’ Anglais compris que cela venait d’arriver, que la rupture c’était ici et maintenant, et il répondit tout aussi tranquillement :
- Brasilia est un bon endroit pour accomplir une rupture.

Ce récit témoigne de la soudaineté de la décision, elle apparaît comme une évidence, une urgence pour s’autoriser à vivre. Le cadre n’est pas étranger à l’événement: un pays inconnu, un lieu inhabituel, éveille les sens, permet un regard nouveau, extérieur sur soi-même. Les circonstances de la rencontre avec cet homme, qu’elle qualifie de délicat, bienveillant, humain, lui donnent l’opportunité d’extérioriser ce quelle vient de réaliser: La rupture est consommée.

Les témoignages recueillis par S. Barbaras montrent que, si la rupture entraîne des crises douloureuses et des moments de découragement, elle permet des remises en cause profondes. Les remaniements provoqués par un tel bouleversement ont apporté des réponses à des questions existentielles restées en suspens; ils ont donné un sens nouveau à la vie.

La question du lien dans le cadre de la rupture est complexe. La forme de lien étant la cause principale de la rupture, il n’est souvent pas souhaité, dans un premier temps, de garder un lien. Un temps de séparation totale est nécessaire aux personnes pour se reconstruire après une relation vécue comme aliénante.

Cela pose un problème dans le cas de couple avec de jeunes enfants. Il n’est pas impossible de penser qu’un moment viendra où la rencontre sera à nouveau possible, avec des objectifs précis centrés sur la vie des enfants.

La médiation familiale spontanée peut accueillir ces personnes; la souplesse de son fonctionnement, son attention au rythme propre des personnes permet d’accompagner des situations très délicates. Ainsi, les premières personnes que j’ai rencontrées dans mon stage pratique ne se parlaient plus depuis plusieurs mois à leur arrivée en médiation. Elles sont parvenues au terme de leur parcours à organiser la vie des enfants.

Toutes les séparations n’ont pas le caractère brutal de la rupture, mais elles signifient toujours le désir de vivre autre chose, autrement; de reprendre ses marques en quelque sorte. La décision de séparation est l’aboutissement d’un processus de maturation, plus ou moins long.

 

De même que la famille, le couple a évolué au cours des dernières décennies; les exigences et les attentes, à son égard, n’ont cessé d’augmenter. La pression importante que subit chaque partenaire explique, peut-être l’augmentation du nombre des séparations.

Le couple doit combler la relation amoureuse; il doit permettre l’épanouissement personnel de chacun; il doit donner les meilleures conditions d’éducation aux enfants…Les sujets de désaccords ne manquent pas et plus pernicieux, les raisons d’être déçu d’une relation sur laquelle on a tant misé.

Des signes de lassitude apparaissent, insidieusement la relation est peu à peu désinvestie. C’est une période de confusion, d’incertitude; l’autre a changé; ou est-ce moi qui ne suis plus en phase ?

Lorsque les deux ressentent ce malaise en même temps, ils tentent de redonner un souffle nouveau à la relation, par un projet commun: voyage, acquisition d’un bien commun… Aujourd’hui les méthodes de développement personnel proposent aussi des stages pour les couples; certains choisissent cette voie, avec plus ou moins de succès. Il arrive un moment où il faut admettre que tous les efforts ne pourront rien contre la dé-liaison qui est en marche, la décision s’impose; dans ce cas, elle est prise en commun. Ainsi ce couple, qui avait suivi une thérapie de couple leur ayant montré combien leur relation était mortifère et entretenait le mal être de chacun.

Il arrive qu’un des partenaires traverse, seul, cette période de remise en question du couple; l’autre n’entend pas dans les remarques et les reproches, le désarroi qui s’exprime, la désillusion qui lentement fissure la relation amoureuse.

En témoigne cette femme qui confie, lors d’une rencontre de médiation familiale, avoir mis trois ans à prendre la décision de demander le divorce, après avoir essayé, à plusieurs reprises, d’alerter son conjoint sur son malaise grandissant.

La décision de séparation, même lorsqu’elle est réfléchie, acceptée, s’accompagne d’émotions, de sentiments, parfois de sensations physiques importantes. L’individu fait l’expérience de la perte, du deuil. C’est une période de mobilisation psychique importante.

La situation de séparation, dans le questionnement qu’elle provoque, nous interroge sur la nature des liens que nous établissons avec les autres. Elle nous renvoie à toutes les séparations de l’enfance, à notre capacité à vivre comme individu distinct, à nos relations de dépendance.

Le processus d’individuation, commencé au sortir de la fusion avec la mère, est réactivé par les questions soulevées au moment de la séparation; ces questions sont en rapport avec nos aspirations à la complétude, nos désirs profonds d’unité. Quelque chose en nous demande à pouvoir s’exprimer, se développer, cette part de nous-même qui n’a pas encore été révélée, ou qui est restée dans l’ombre pour ne pas gêner la relation à l’autre; cette part de nous-même, cachée par le reflet de l’autre.

 

L’individuation est un concept difficile à définir. Il ne s’agit pas uniquement de se détacher des images parentales, mais de sortir de la position d’objet et de construire une position de sujet. La différenciation, concept proche, comporte une notion de distinction, et une notion de transformation, qui peut être comprise comme une forme d’intégration. Construire une position de sujet demande de nourrir, en quelque sorte, nos représentations symboliques, notre imaginaire d’éléments apportés par le monde extérieur.

L’intégration de tous ces éléments nous permet de nous unifier autour d’un noyau central que Carl Gustav Jung appelle le « soi ».

Dans la formation du couple, chacun arrive avec son niveau d’individuation; sa capacité à se démarquer de sa famille d’origine, pour assimiler de nouvelles valeurs, de nouveaux rituels; ce mélange va constituer la culture de la nouvelle famille. Au moment de la séparation, l’individu va se repositionner aussi dans sa manière d’être parent.

L’individuation ne nous coupe pas du monde, au contraire, elle nous incite à nous y investir, pour y puiser de quoi enrichir notre vie intérieure à travers la vie culturelle, la pensée et les arts. C’est une force dans les épreuves qui jalonnent toute existence humaine, dont le deuil et la séparation.
Ainsi, Y. Prigent, psychiatre, spécialiste de la dépression et de la prévention du suicide, dans:
Vivre la séparation , décrit des procédés pour aider le travail de deuil, procédés qu’il appelle des mécanismes de « facilitation »; les facilitations imaginaires, les facilitations symboliques, et les facilitations du registre réel . Pour les facilitations imaginaires, l’individu est encouragé à faire appel à ses ressources personnelles dans l’évocation d’images, de musiques, de poésie, de mythes ayant un pouvoir consolateur.

Concernant les facilitations symboliques, il conseille: l’évocation de l’histoire du sujet. Il s’agit de propos nostalgiques à la fois douloureux, consolateurs et restructurant. Il pense qu’à travers le récit, le langage permet l’évocation de ce qui n’est plus et une élaboration qui amène à la compréhension de ce qui s’est passé. Il affirme que le fait de « penser la séparation », permet de faire le point de ce qui est perdu, ce qui est encore là; comprendre ce que représente la perte, évite de plonger dans le gouffre de l’irreprésentable.

Quant aux facilitations du registre du réel, elles comprennent des conseils concrets pour prendre soins de soi: aménager des moments de détente, bains, relaxation, en fonction des goûts de chacun.

Nous voyons qu’au delà de la douleur et du désarroi provoqués par la perte, la séparation constitue un moment fort de questionnement sur soi-même, sur la direction à donner à sa vie, sur les valeurs qu’on se sent prêt à défendre par des choix importants. Si pour beaucoup d’adultes le bilan global d’une séparation, à la sortie de la crise, s’avère plutôt positif; qu’en est-il des enfants qui ont traversé cette période au coté des adultes ?


 

Les enfants et la séparation des parents

Le point de vue des enfants est très diversifié. Il dépend pour une grande part de la manière dont les parents se séparent. Dans les cas de conflit conjugal bruyant, avec des disputes fréquentes, les enfants expriment un soulagement à l’annonce de la décision de séparation; mais pour eux, parfois le cauchemar continue, lorsqu’ils sont pris en otage par les parents qui se sont quittés sans rien régler de leur conflit. D’autres fois, la décision de justice ou les évènements, vont les éloigner durablement de l’un des parents.

Même lorsque la séparation se fait dans les meilleures conditions possible, pour l’enfant c’est un bouleversement. Tous ses repères sont bousculés; les repères temporels, les lieux, les habitudes. L’enfant va devoir reconstruire son unité dans cet éclatement, sous peine de voir son développement compromis.

La séparation des parents soulève, chez l’enfant la question des causes de la rupture, avec le doute et la culpabilité.
Une attention particulière doit être apporté à l’annonce de la séparation par les parents. Quel que soit l’âge de l’enfant, une parole adaptée doit signifier les faits de manière à le soulager d’une responsabilité imaginaire et à rassurer l’enfant sur la permanence des sentiments de ses deux parents à son égard.

Deux périodes sont particulièrement sensibles dans le développement de l’enfant. Au moment du complexe d’Œdipe le sentiment de culpabilité est sous-tendu par le désir fantasmatique de la disparition du parent du même sexe.

Dans son livre Se séparer sans se déchirer, la médiatrice familiale Jocelyne Dahan explique l’angoisse et la solitude que ressent l’enfant persuadé d’être responsable de ce qu’il vit comme une catastrophe. La parole des parents va soulager l’enfant de sa culpabilité, le sécuriser quant à l’amour que ses deux parents lui portent.

L’adolescence est une période de déséquilibre. Les remaniements sur tous les plans, physiologiques et psychologiques, vont se télescoper avec les incertitudes apportées par la séparation des parents. La parole, à nouveau, va permettre le soulagement. Cette fois, l’adolescent aussi va dire ce qu’il ressent, ce qu’il pense de cette décision. Les parents doivent se préparer à accueillir la colère ou les reproches de l’adolescent, qui peut se laisser aller à porter un jugement sur le comportement de ses parents.

Voici ce que dit Thomas, jeune adolescent, dont les parents, séparés depuis quelques mois n’ont pas pu dire les mots justes, sur leur situation. Thomas, qui au lycée ne pose aucun problème, est hospitalisé au service Ado d’une clinique psychiatrique, suite à une crise clastique au domicile de sa mère et des propos suicidaires à son père: « Je n’ai rien à faire là; mon père a dit que j’irai chez lui et tout sera réglé. De toute façon c’est la faute de ma mère, elle m’énerve, toujours sur mon dos; mon père est d’accord, elle est trop rigide. Maintenant que j’ai tout cassé, il paraît qu’elle est d’accord pour que j’aille chez lui. Je sais pas ce qu’il attend, mon père, moi, j’ai pas l’intention de moisir ici à faire des dessins avec les autres fadas. Ma mère, elle dit que mon père me gâte trop, mais qu’elle était toujours d’accord pour que j’aille chez lui; elle dit que c’est sa nouvelle copine qui ne veut pas que j’y aille. De toute façon elle peut pas la voir. Enfin j’en sais rien, moi, j’y comprends rien.».

 

Quel que soit l’âge de l’enfant, selon ses possibilités, il va développer des stratégies de réparation de cette blessure.
Il arrive que l’enfant ne puisse accepter les faits. Il se débrouille pour provoquer des situations où les parents seront obligés de se trouver ensemble; par exemple, dans la transmission de date de réunion scolaire, l’enfant s’embrouille et les parents se retrouvent nez à nez au lieu de se partager les rencontres comme il avait été convenu. L’enfant est victime d’accident bénin, mais nécessitant une surveillance hospitalière; les parents se retrouvent à son chevet.

L’enfant a besoin de cette image des parents pour se construire. Plus tard, la représentation de ses parents, en tant que couple, se fera à travers les questions à l’un ou l’autre, sur leur histoire commune.

Certains enfants expriment d’emblée leur tristesse, leur chagrin. D’autres, au contraire, mettent un point d’honneur à prouver l’insignifiance de l’événement par des performances scolaires qui leur assurent, du moins le pensent-ils, l’affection de leurs deux parents. La colère s’exprimera autrement, plus tard.

Il faut être particulièrement attentif aux enfants qui s’installent dans la tristesse ou la colère, se sentent abandonnés, manifestent des changements de comportements, le risque de dépression existe; ce risque n’est pas forcément lié à la persistance d’un conflit entre les parents.
Les parents ont construit avec l’enfant un type de relation, dans la confiance ou la crainte, un lien fort ou ténu; ils se séparent dans un contexte relationnel particulier, qui va favoriser ou non la continuité des liens. Mais il arrive, qu’une relation difficile avec un enfant, dans le cadre de la vie en couple, paradoxalement s’améliore après la séparation des parents.

La séparation des parents provoque un remaniement total des relations intra-familiales. Les parents restent les parents, même séparés, mais d’une manière différente; le bouleversement touche toutes les relations, remet en question les valeurs éducatives, les priorités de l’existence. Les enfants peuvent se trouver pris entre deux systèmes de valeurs opposées au point qu’il ne leur est pas possible de se développer normalement. Parfois, ils sentent que l’un des parents est plus fragile que l’autre; ils se placent en protecteurs du plus faible.

Lorsque la séparation s’avère très conflictuelle, que le conflit s’enlise, que la justice s’en mêle, les enfants sont ballottés de l’un à l’autre dans une ambiance de suspicion. Il arrive qu’ils soient pris à parti, sommés de choisir leur camp. Ils risquent d’être entraînés dans un conflit de loyauté. Le conflit de loyauté est très dommageable pour le lien avec l’autre parent, il est aussi très coûteux psychiquement pour l’enfant; il l’enferme dans des liens de dépendance, une dette existentielle; il entrave le développement de son individualité propre.

La séparation, décrite comme une opportunité de changement, se transforme en véritable drame humain. Face à ces situations, la médiation familiale propose un accompagnement visant à permettre aux personnes de sortir d’une logique guerrière, de vengeance, de destruction, pour retrouver le respect de l’autre et le respect du droit de l’enfant à ses deux parents.
Ils sont assis tous les deux sur le petit banc devant la porte; les enfants jouent à l’intérieur. Ils sont tristes, ils savent qu’ils sont arrivés au bout de leur histoire commune, ils en ont beaucoup parlé. La décision est prise. Et les enfants ? Ils auraient tant voulu leur épargner ça ! « Une amie m’a donné ce papier. » dit-elle. Il lit: «
Médiation Familiale ? C’est quoi ? ».

 

 

La médiation familiale

La médiation familiale est un processus de gestion des conflits dans lequel les membres de la famille demandent ou acceptent l’intervention confidentielle et impartiale d’une tierce personne, le médiateur familial. Son rôle est de les amener à trouver eux même les bases d’un accord durable et mutuellement acceptable, tenant compte des besoins de chacun et particulièrement de ceux des enfants, dans un esprit de co-responsabilité parentale.

Ce processus est accessible à l’ensemble des membres de la famille (ascendants, descendants, collatéraux) concernés par une rupture de communication dont l’origine est liée à une séparation.
Cette définition est fortement inspirée de celle du
code de déontologie de l’A.P.M.F. adopté le 5 décembre 1998 .

Lieu d'émergence de la parole

L’espace et le temps

La médiation familiale propose un espace neutre, où les personnes en conflit sont invitées à se retrouver pour parler. Se retrouver est en soi déjà tout un programme pour des personnes en conflit. Cela signifie qu’elles ont accepté le principe de la rencontre; car la médiation familiale, même lorsqu’elle est ordonnée par le juge doit être une démarche volontaire.

Accepter de rencontrer l’autre, c’est lui reconnaître une place dans ce lieu; donner un espace propre à l’expression des désaccords. Pour cela les personnes ont besoin de se sentir en sécurité et en confiance. C’est le rôle du tiers-médiateur, dans l’accueil et la disponibilité de son écoute, de créer les conditions d’expression de la parole de chacun. Cet espace doit pouvoir accueillir le conflit, contenir la violence qu’il pourrait générer.
Jacqueline Morineau (L’esprit de la médiation (Erès,1998, 2014); Le médiateur de l’âme (Nouvelle Cité, 2008); La médiation humaniste : un autre regard sur l’avenir (Erès, 2016)), qui a créé la première expérience de médiation pénale en 1984 en France pour le Parquet de Paris, écrit dans L’esprit de la médiation : « Un réceptacle du désordre, de la nécessité de la mise en scène pour donner un caractère exceptionnel à la rencontre. Le médiateur doit être prêt à entendre une certaine violence émotionnelle, savoir l’accueillir, l’amortir pour ne pas la renvoyer, la désamorcer pour éviter qu’elle ne s’enflamme.».

Ce lieu doit être identifiable comme un lieu réservé à l’accueil des problématiques familiales, par des affiches sur la médiation familiale, sur la parentalité par exemple, mais la décoration doit rester assez neutre de manière à ce que chacun puisse s’y sentir à l’aise. En fonction des méthodes de travail des médiateurs, il sera meublé simplement et confortablement notamment en ce qui concerne les sièges; il est important que les personnes soient bien assises pendant les séances qui peuvent durer d’une heure et demi à deux heures.

J. Morineau parle de la médiation comme d’un espace pour l’imaginaire. Elle compare l’expression des émotions, de la souffrance, à un rite initiatique. Elle dit, rendre présentes la souffrance et la violence, c’est les réintégrer, leur donner leur place. C’est accepter l’épreuve, la manifestation d’un état inférieur de l’être pour passer à une étape supérieure.

La médiation familiale est aussi un espace-temps; un temps de passage, une sorte de sas entre un présent chaotique, indifférencié, et un futur à construire, à inventer. Les personnes qui viennent en médiation acceptent de donner du temps pour que quelque chose advienne de la confusion qui les anime. Ils vont mettre en marche un processus pendant les séances, qui se continuera dans le temps entre chaque séance. Chacun aura un temps de parole, et donnera à l’autre un temps d’écoute.

Le médiateur est le gardien de cet espace-temps; il l’anime suffisamment pour le rendre accueillant, bienveillant, rassurant; mais veille à laisser beaucoup de place libre pour ce qui vient s’exprimer; sans limiter la créativité des personnes par des jugements de valeur, ou ses propres représentations. Sa présence est essentielle, bien qu’il ne soit que le catalyseur ou le révélateur, au sens photographique, de ce qui joue dans cet espace.

 

Le tiers-médiateur

Nous avons vu les transformations sociales affectant la famille, l’ensemble de la société est soumis à un mouvement qui nous porte à faire valoir nos droits individuels; or dans certains cas ces droits s’opposent entre eux, notamment en ce qui concerne les enfants, dans la séparation des parents.

La présence d’un tiers s’avère nécessaire.

A la différence du juge, qui dit le droit, et ce faisant tranche dans le vif du conflit; le tiers-médiateur ne juge pas; il travaille à rétablir la communication entre les parties, pour introduire, par la parole, un espace permettant à l’autre d’exister, lui reconnaissant, dans le cas qui nous occupe, une place auprès de l’enfant. En acceptant la démarche de médiation, les personnes attribuent au médiateur une place particulière, elles légitiment, en quelque sorte, la position de tiers occupée par le médiateur.

La posture de tiers est une construction qui s’affine avec l’expérience; elle anime le médiateur d’une disposition d’esprit particulière. Il se situe comme l’égal des personnes, mais légèrement en retrait, ce qui permet le recul nécessaire pour être, alternativement, disponible à l’un, puis à l’autre. Il veille à maintenir cette distance professionnelle pour éviter d’être, malgré lui, emporté dans un tourbillon émotionnel, celui de l’un des partenaires, ou le sien propre, en écho à ce qui se dit.

C’est pour le soutenir dans cette difficulté, qu’il lui est demandé de participer à des séances de régulation ou d’analyse de la pratique.
Il est attentif à ce que chacun respecte l’autre dans son discours, et prenne en compte la parole de l’autre. Ainsi, il rompt l’effet miroir de la relation duelle, où chacun sait à l’avance ce que l’autre va dire et prépare sa réponse au lieu d’écouter. Il organise, ainsi, un espace sécurisé où pourra se dire ce qui fait conflit, mais aussi, ce qu’il sera possible de mettre en commun.

Son esprit est vide de lui-même, totalement ouvert à ce qui advient, le discernement en éveil, dans une atmosphère de bienveillance. Cette position interpelle les parties en tant que sujet; ouvre les représentations pour sortir de ce qui semble une impasse. Elle instaure le primat du langage dans les échanges humains. La référence au tiers renvoie à l’ordre symbolique comme espace de différentiation des individus: le tiers instaure une limite entre le sujet et l’objet, le désire de l’un ne pouvant pas totalement satisfaire le désir de l’autre. Autrement dit, le tiers inscrit le sujet dans le rapport aux autres, au monde partagé, disait Claire Denis dans La médiatrice et le conflit dans la famille.

Pour aider le médiateur familial dans sa tâche, dès 1988 l'association P.E.M., première à pratiquer la médiation familiale dans le sud de la France, s’est construit un cadre de travail associatif.

 

Le cadre

Le cadre, en médiation familiale, est un dispositif qui borde cet espace particulier que constitue la médiation. Il pose des limites, à la fois contenantes pour les émotions, et stimulantes pour la créativité. Ce sont des règles permettant à la médiation familiale de se dérouler dans de bonnes conditions. Il existe des invariants, sur lesquels la discussion n’est pas possible. Ce sont des préalables à la démarche de médiation familiale: l’impartialité du médiateur, le respect de chacun, la liberté pour chacun d’interrompre ou d’arrêter la médiation; la confidentialité du médiateur dans les limites de la loi, l’arrêt de toutes procédures en cours.

Le médiateur est imprégné du cadre; il va signifier les places de chacun, distribuer la parole, permettre à chacun de se sentir bien. Avant même que le cadre ne soit soumis à l’approbation des personnes, le médiateur le fait exister, car il pose des limites à sa fonction.

Le cadre du médiateur fait référence à la déontologie notamment :

Le médiateur s’interdit :
a - d’intervenir dans des médiations impliquant ses propres relation;
b - d’obtenir l’adhésion à un accord qui ne serait pas librement consenti;

c - d’offrir à ses clients ses services sortant du champ de la médiation en matière familiale;
d - d’exercer, avec les mêmes personnes, une autre fonction que celle de médiateur. Extrait du
code de déontologie de la médiation familiale de l’A.P.M.F. du 5 décembre 1998 (adopté par l'APMF en décembre 1990, modifié le 5 décembre 1998, le 30 janvier 2004 et le 13 mars 2010.).*

En fonction de sa pratique, il va demander aux personnes de signer un engagement de médiation, ou alors il va susciter une discussion sur la nécessité, pour le bon déroulement de la démarche, de s’engager moralement à respecter des règles de fonctionnement. Tout au long de la médiation, le médiateur va incarner le cadre, et veiller à le faire respecter.

Voici un exemple de l’efficacité du cadre.

Il s’agit d’une séance de médiation familiale dans le Centre PEM, consacrée, à la demande des personnes, à l’organisation des repas de leur fils de 3 ans: cantine, sieste… Après quelques échanges vifs, à la troisième personne, sur le mode: « Si monsieur s’était donné la peine de… » suivis de: « Madame n’a pas daigné m’informer de… », la médiatrice les interpelle: « Je me permets de vous interrompre pour vous rappeler les règles dont nous avions convenu au départ; je sens de l’agressivité dans la manière de vous parler; peut-être vous serait-il possible de vous exprimer sur un autre ton ? »

Après un temps de silence embarrassé, le dialogue reprend; les deux parents se parlent différemment; l’agressivité à fait place à une émotion liée à l’évocation de la décision de séparation. La discussion se poursuit et se conclut par des décisions concrètes, puisqu’il s’agissait de remplir un formulaire scolaire à rendre à la directrice de l’école maternelle.

Outre les règles énoncées plus haut, les personnes peuvent en définir d’autres, propres à leur situation. Ils peuvent convenir de la façon dont ils vont respecter la confidentialité: ce qu’ils vont dire et à qui; ils peuvent s’engager à être authentique, à collaborer sincèrement à trouver des solutions. Il arrive que des personnes demandent à ce que figurent, dans les engagements de départ, les points à traiter. Parfois, à mesure que la confiance s’installe, la situation du début évolue, et le cadre aussi.

Pour être opérant, le cadre doit avant tout être sécurisant, car les personnes vont vivre des changements importants dans leurs représentations. Le cadre participe de cette coupure avec le quotidien, que constituent les séances de médiation. C’est à cette condition que les personnes vont pouvoir entrer dans le processus de médiation: c’est-à-dire une dynamique de changement dans la relation; dans la manière de se parler et de s’écouter, de tenir compte de l’autre.

 

La communication

Dans le point précédent nous avons dressé le décor à l’intérieur duquel la médiation familiale va dérouler son processus. Nous avons défini les conditions optimum pour que des personnes en conflit puissent dialoguer.

Les personnes qui arrivent en médiation familiale traversent une période de crise profonde. Elles sont dans un état émotionnel particulier; à la fois plus fragiles et plus réceptives. Qu’elles aient ou non pris la décision de se séparer, elles se trouvent face à des choix existentiels importants; or tout choix signifie la perte, le renoncement à quelque chose. Chacun vient avec, plus ou moins clairement, l’appréhension de perdre quelque chose; c’est probablement ce qui explique les résistances à la médiation familiale.

La première rencontre entre le médiateur et les personnes doit permettre d’apaiser les craintes; une information précise apportée par le médiateur va éclairer les personnes sur la démarche de médiation familiale. Nous avons vu que le cadre se prête à un accueil de qualité.

Le médiateur familial a aussi été formé à des techniques de communications, qui visent à créer un climat de confiance, propice à l’expression des personnes.

L’écoute, tout d’abord, prend en compte celui qui parle; mais dans la situation de médiation, celui qui s’exprime, s’adresse, aussi et surtout, à l’autre, qui est là, et à qui parfois il ne parle plus depuis quelques temps. Le médiateur, dans son attitude inclut l’autre dans l’écoute.
Son écoute est active: il peut faire préciser la pensée, lorsqu’il sent un risque d’ambiguïté; il peut interrompre le locuteur pour faire respecter les règles définies en commun, si celles-ci sont transgressées; il peut arrêter le discours, si le locuteur en profite pour monopoliser la parole.

Le médiateur, devant l’importance d’une déclaration, peut la répéter pour en garantir la prise en considération. Une personne exprime sa souffrance dans telle situation du passé qui avait été totalement occultée par son conjoint. La répétition, adressée aux deux, permet à la personne de sentir sa souffrance prise en compte.

Une écoute vivante demande une certaine tolérance au silence. Passés les premiers moments angoissants, le silence peut faire surgir une idée, une émotion, qui va placer la communication sur un registre plus authentique, parce que inhabituel. L’objectif est bien de mettre les personnes dans une situation inhabituelle, pour leur permettre de sortir des réflexes d’une relation conflictuelle qui empêche toute communication véritable.

Le médiateur a d’autres moyens à sa disposition: la reformulation consiste à redire l’essentiel du discours de l’interlocuteur. La reformulation a plusieurs objectifs: montrer qu’on est attentif; ponctuer un discours long, mais trop important pour l’interrompre; s’assurer que l’on a bien compris, et, dans le cas contraire, permettre au locuteur de préciser sa pensée.

La reformulation peut se faire de plusieurs façons: le résumé qui utilise les mots clés; la paraphrase, comme dans l’exemple ci-dessus, avec un effet d’accentuation; la réflexion des sentiments perçus à travers le discours.

Dans les situations très conflictuelles, lorsque les échanges sont mêlés d’agressivité, d’accusation, de procès d’intention, la reformulation va extraire du discours le contenu essentiel pour la communication, et pointer que l’échange n’est possible que dans le respect de chacun.

La reformulation peut s’associer au recadrage. Ce recadrage n’a rien à voir avec le cadre défini au point précédent, il s’agit de proposer un changement de perspective dans une situation donnée, élargir la définition d’un problème.

Les techniques de communication ont pour objectif d’éclaircir le débat, de clarifier les points de divergence, de permettre à chacun de préciser sa pensée devant l’autre, de susciter des échanges fructueux.

Le médiateur, dans ses interventions, ne porte pas de jugement; par contre il peut faire part de ce qu’il ressent et demander des éclaircissements. Parfois, ses questions libèrent une tension et provoquent une avancée dans les échanges.
Pendant toute la durée de la médiation familiale, le médiateur va se servir des techniques de communication; il va faire vivre le cadre, l’espace-temps; habiter la posture de tiers; pour accompagner le processus de médiation familiale.

Le processus: émergence de la pensée de chacun.

 

Le processus

Le terme de processus est dans la définition de la médiation familiale; c’est, entre autre, ce qui la caractérise par rapport à d’autres modes de résolution des conflits. Voir Le processus de médiation familiale, par Alain Bouthier.

Qu’est-ce qu’un processus ?

La philosophe Laurence Cornu, dans un article de la revue Les cahiers de la médiation familiale s’interroge sur le choix du mot processus, son étymologie, ses domaines d’utilisation. De ses recherches il ressort que le processus implique le temps; c’est le terme qu’on utilise pour décrire des changements de forme, insensibles ou par sauts, des transformations, des étapes d’un devenir . Il est souvent utilisé comme modèle théorique du vivant: « processus de croissance, de maturation, de cicatrisation ».

Au terme d’une étude riche et complexe, s’appuyant sur les modèles anthropologiques de la psychanalyse, les écrits de la philosophe Hannah Arend, donnent sa vision du processus dans la médiation familiale :

« Le processus dans la médiation serait celui du développement d’une capacité de mise en forme symbolique d’une situation de séparation, capacité d’invention, capacité de commencer des formes de relations nouvelles. La fécondité de l’idée est aussi qu’elle intègre à l’idée d’un déroulement dans le temps, qui peut être long, celui des évènements qui le ponctuent: commencements, points de déclenchement, nouveautés irréversibles.»

Sa vision reflète l’aspect dynamique d’un mouvement dans lequel les personnes sont conviées à entrer. C’est ce mouvement qui les amènera à modifier leur perception des difficultés, à quitter leurs certitudes. Mais cette démarche leur permettra aussi de construire une réalité qui donne un sens à la séparation, à la perte inéluctable qui accompagne toute séparation.

En fait avec le terme de processus, la médiation familiale accepte de prendre en compte la réalité complexe des remaniements psychologiques de la séparation. A travers « son » processus elle accompagne plusieurs processus, à des niveaux différents, propres à chaque individu.
Par exemple, le processus de deuil: la personne qui a pris la décision de la séparation, a déjà traversé les premières étapes du deuil, alors que la personne à qui on vient d’annoncer la décision, est sous le choc. De même en ce qui concerne le processus d’individuation, chaque personne, en fonction de son histoire, a développé à son rythme sa capacité à s’individuer.

Le processus de médiation familiale est suffisamment souple pour s’accommoder de toutes les particularités, dans les limites du cadre posé ensemble, sans pour autant s’immiscer dans l’intimité psychologique des personnes.

Le processus aura pleinement rempli son rôle dans le cadre de la médiation familiale, lorsque les personnes seront prêtes à s’accorder pour continuer à être parents ensemble; ceci n’arrête pas forcément le mouvement amorcé pendant la médiation familiale.

Le processus de médiation familiale est matérialisé, en quelque sorte, par des étapes, appelées des phases, car elles sont perméables; en fonction des besoins il est possible de passer de l’une à l’autre, de revenir en arrière si la situation le demande. Ces phases servent de guide dans le travail d’accompagnement du médiateur.

Les phases du processus

Les cinq phases du processus se déroulent dans le temps indépendamment du nombre de séances, et de la durée de celles-ci. Elles sont le reflet de l’état d’avancement de la communication entre les personnes.

La première phase vise à établir la confiance, à créer un climat de coopération, à partir d’échanges sur le rôle du médiateur, les règles de fonctionnement. Le médiateur encourage une forme d’engagement, soit écrit, soit oral, à participer le plus sincèrement possible à la démarche de médiation familiale.

En fonction de l’importance du conflit, la communication va passer systématiquement par le médiateur qui sera attentif à ce que chacun parle en son nom propre, surtout quand seront abordés le conflit et ses causes.

La deuxième phase s’engage plus avant dans l’exploration du conflit: les points d’entente et les points de divergence sont mis à plat; ce qui va permettre d’identifier les points à négocier. La communication est plus intense, plus rapide parfois; le médiateur doit veiller à ce que les temps de parole soient équilibrés, à pouvoir néanmoins reformuler pour s’assurer que tout le monde a compris la même chose.

La troisième phase vise à favoriser l’émergence des besoins de chacun. Pour chaque point à négocier, le médiateur explore avec les personnes les points de vue, permet l’expression des émotions, et fait ressortir les intérêts communs.
Il utilise la démarche de la négociation raisonnée: ne pas négocier sur les positions, au risque de les figer mais sur les intérêts ou besoins communs.

La communication est centrée, dans un premier temps, sur la prise en compte des différences par le respect dans l’écoute, de la parole de chacun. Il est possible ensuite, de faire apparaître des besoins communs.

La quatrième phase est un moment de recherche commune de solutions concrètes. Le médiateur, dans les échanges, favorise la créativité, de sorte que les personnes s’autorisent des options innovantes pour répondre aux besoins de tous.

La cinquième phase accompagne, si les personnes le souhaitent, l’écriture des accords qui formalisent les décisions prises ensemble. Cela peut être sous la forme d’une convention à faire homologuer par le juge; ou un simple document qui restera en la possession des personnes.
Cette phase clôt la médiation familiale. Elle est l’occasion d’un bilan sur le chemin parcouru ensemble. Le médiateur propose aux personnes une rencontre éloignée dans le temps, trois ou six mois, pour évaluer la mise en place des accords dans la vie quotidienne et les aménager si nécessaire.

La médiation familiale est terminée … pour cette fois-ci; les personnes savent qu’à tout moment elles peuvent à nouveau y revenir.
Ces phases illustrent la progression recherchée dans la communication. Le médiateur repère plus aisément la nature des difficultés à communiquer; il veille sur la communication entre les personnes; c’est son souci principal.

Est-ce la forme de l’expression: agressive, accusatrice, culpabilisante, insinuante, dans la plainte, la revendication, le regret, le ressassement …qui la rend inacceptable pour l’autre ?

Les couples en conflit entrent, parfois, dans des rituels de communication qui entraînent un rejet systématique des propos de l’autre quels qu’ils soient: l’intonation de la voix déclenche une riposte sans même avoir pris connaissance du message. Le premier travail, en médiation, est de dépasser ce stade pour que chacun arrive à entendre l’autre. Le cadre et la reformulation sont des outils efficaces.

Dans l’effort fait pour être compris par l’autre, il y a déjà une forme d’attention à l’autre, un début d’ouverture. Ils vont pouvoir parler au médiateur, se parler, sans compter les points, comme lors d’un match de boxe. Les échanges sont plus élaborés, la pensée se précise, la parole devient plus authentique.

Le médiateur peut leur proposer un outil pour revisiter le passé, afin de construire un avenir sur de bonnes bases: le récit de vie. C’est un outil utilisé aussi dans les situations d’indécision pour le bilan conjugal.

Le récit de vie

Le récit de vie est un terme qui apparaît il y a environ vingt-cinq ans, au carrefour entre la sociologie et la psychologie. Il fait suite à d’autres appellations comme « histoire de vie », « roman familial », « trajectoire sociale ». Il est utilisé dans la relation d’aide, dans les démarches d’orientation professionnelle, chaque fois qu’il est question d’articuler passé, présent et avenir.

Il donne, à la personne qui fait le récit, l’occasion de se placer en position de sujet de se réapproprier son passé. L’élaboration du récit entraîne une prise de conscience de l’importance d’évènements occultés, des causes de certaines situations vécues dans l’incompréhension. C’est une construction de son histoire qui permet de lui donner un sens; de mettre en évidence des répétitions, sur plusieurs générations parfois. C’est une manière d’aller vers la connaissance de soi qui sera capitale pour construire l’avenir.

C’est la prise de conscience que, sur plusieurs générations les enfants avaient été élevés sans père, uniquement par des femmes, qui a poussé une femme a venir en médiation familiale. Suite à une séparation conflictuelle, ses enfants n’avaient pas vu leur père depuis plus d’un an; elle ne voulait pas que l’histoire se répète.

Dans le cadre de la médiation familiale, on trouve plusieurs façons de procéder: le récit libre ou l’entretien guidé par des questions ouvertes. En fonction de la pratique du médiateur ou de la situation des personnes, l’une ou l’autre méthode conviendra mieux, ou la combinaison d’un entretien semi-directif et d’un récit libre.

Dans l’entretien semi-directif, les questions posées couvrent quatre grands domaines à explorer.
Tout d’abord: l’attente et les croyances par rapport au couple et à la famille avant la rencontre. Cette évocation permet de confronter d’une part, l’écart entre les attentes de chacun et le vécu dans la réalité; d’autre part les croyances et valeurs de chacun. C’est un moment important d’expression de soi, de mises en évidences de différences qui, parfois n’avaient jamais été clairement exprimées.

Deuxième domaine: la rencontre et la construction du couple; là encore vont apparaître des nuances voir des différences dans la perception de chacun, dans les émotions éprouvées.

Puis est évoquée la vie du couple avant l’arrivée des enfants; le désir d’enfant, l’arrivée des enfants.
Enfin, le récit de la vie du couple après l’arrivée des enfants, les aspects ayant trait à l’éducation des enfants, la transmission des valeurs, puis les évènements qui ont amenés à la situation de séparation.

Le médiateur est témoin du récit qui, s’il s’adresse à lui, n’en est pas moins destiné à l’autre. Comme témoin, il accrédite le récit et son auteur. Le miroir que représente le médiateur, par son effet réflectif, met en lumière les différences; permet de se distancier, d’accepter le besoin de se démarquer.

C’est un moment douloureux de prise de conscience; mais cette prise de conscience est nécessaire pour comprendre ce qui se passe; réaliser combien on est différent de l’autre, amène à se réapproprier une part de soi-même, permet d’accepter que l’autre existe dans la différence d’avec soi.

Voici l’exemple d’un couple dont l’idéal était d’être d’accord sur tout, notamment, les valeurs éducatives.

Dans cette séance de médiation familiale, il est question du mardi soir que le plus jeune fils, Thomas, a passé chez son père, François: il a regardé le film, alors que les règles du coucher sont: 21H30 quand on a classe le lendemain matin. Anne, la mère, est mécontente, car elle estime que le sommeil est très important pour suivre une scolarité correcte.

Du besoin de sommeil, la discussion glisse vers les valeurs éducatives, et d’une manière très tranchée, chacun radicalise son discours presque jusqu’à la caricature. La médiatrice tente de faire entendre que la diversité des points de vue est une richesse pour l’enfant, mais peine perdue.
Anne donne un exemple d’événement survenu un an auparavant, avant la séparation. Il s’agissait de permettre, ou non, à Thomas de regarder à la télé un film violent, interdit au moins de 12 ans; Anne estimait que le film était trop violent pour Thomas, elle aurait aimé que François intervienne, mais François n’en a rien fait; et en pleurant, Anne est allée se coucher. Il semble qu’il ne leur a pas été possible de reparler de cet événement par la suite. Anne renvoie à François que sur les opinions elle ne se sentait pas prise en compte. François lui reproche sa rigidité et son éducation bourgeoise et étriquée.

Ils ne sont plus accessibles à la parole des médiateurs, ils règlent des comptes qui se situent sur un autre plan. Ce qu’il n’était pas possible de dire alors qu’ils vivaient ensemble, est posé là, sans ménagement, comme s’ils découvraient maintenant, combien ils étaient différents; Anne surtout, éprouve le besoin de se démarquer de François concernant les valeurs éducatives.

La vivacité des échanges a fait craindre un instant, qu’ Anne ne remette en cause les points d’accord déjà mis en place concernant Thomas, mais il n’en fut rien. Les séances suivantes, Anne a semblé plus apaisée, comme si elle avait accepté ces différences et compris quelque chose sur la séparation en cours à travers cette confrontation.

Cet exemple montre aussi l’importance du tiers médiateur, non pas dans ses interventions mais dans sa présence; cette confrontation n’aurait jamais pu avoir lieu sans le tiers-médiateur. En effet, la confrontation de la différence représentait un danger pour ce couple.

Comme dans cet exemple, il arrive que le récit d’un événement du passé fasse irruption dans une séance de médiation; c’est une manière de laisser le récit émerger peu à peu lorsque les personnes ne sont pas prêtes à le faire de façon systématique.

Le récit de vie peut être vécu comme une épreuve pour des personnes. A travers les événements, les émotions aussi sont revisitées. C’est pourquoi, certaines situations se prêtent mieux au récit libre. Les personnes décident de ce qu’elles veulent dire, ou peuvent dire sans se sentir en danger.
Le récit de vie présente de nombreuses possibilités de travail; la psychologue
Liliana Perrone de l'IFATC de Lyon, en a fait un modèle particulier de médiation familiale: le modèle groupal-narratif de médiation familiale.

C’est un modèle complexe qui intègre plusieurs aspects théoriques dans la compréhension du conflit: l’origine intra-psychique, la théorie de la communication avec une théorie des systèmes qui s’intéresse aux aspects linguistiques de la communication. Le récit, appelé narrative, est utilisé comme moyen de faire bouger les représentations, le but étant d’atteindre une narrative commune parentale qui permettra aux parents d’écrire leurs accords.

L’exploration de la vie commune permet de faire une distinction dans le conflit, entre ce qui est propre à la relation, à la vie de couple, à la vie de famille; car le ressentiment, la déception, contaminent tous les aspects et sont générateurs de tensions qui entravent la construction de nouveaux liens.

Si la prise en compte des différences est importante pour soutenir le processus de séparation, mettre en évidence des points communs permet de se constituer une base de données, en quelque sorte, très utile au moment de rechercher des solutions aux problèmes concrets posés par la séparation.

Le processus de médiation familiale est une démarche souple, constituée d’allées et venues dans le passé pour pouvoir envisager de construire l’avenir des enfants en commun.

 

Transformation des liens familiaux

Construction d’un projet parental

Le partage de la parole, institué par le processus de médiation familiale, représente pour de nombreux parents la première expérience de communication aussi intense. Lorsqu’ils ont senti que le cadre tiendrait face aux assauts du conflit et des émotions qui l’accompagnent, ils utilisent l’espace mis à leur disposition pour vider le contentieux; solder les comptes de la « non prise en compte », dans ce lieu où l’écoute est essentielle.

L’important n’étant pas d’être d’accord, mais d’être entendu. Néanmoins, concernant les enfants, un minimum de points communs sont nécessaires, dans la conception de l’éducation, sous peine d’écarteler les enfants entre des valeurs opposées.
Toute la démarche de la médiation familiale vise à permettre aux personnes de garder l’initiative des décisions à prendre, et à laisser entière, leur responsabilité de parents.

La construction d’un projet parental est le moment de vérifier ce qu’il en est de la confiance réciproque dans les capacités éducatives de chacun. C’est aussi le moment d’un choix: s’engager à coopérer le plus sincèrement possible, ou continuer dans le conflit par des exigences démesurées.
Certaines personnes sont dans l’impossibilité de sortir du conflit à ce moment-là. Le temps n’a pas été suffisant pour entrer dans une étape d’acceptation de la séparation; la colère liée aux raisons de la séparation n’est pas apaisée; la peur d’assumer seul(e) le quotidien des enfants peut être réactivée par la recherche de solutions concrètes.

En principe le projet parental est élaboré vers la fin de la médiation, mais souvent en cours de médiation des points précis ont été abordés, l’organisation de vacances qui tombent pendant la durée de la médiation par exemple, ce qui permet de tester une forme de co-parentalité.

La discussion autour de ce projet va accentuer la prise de conscience de la perte de la famille telle qu’elle était constituée jusqu’alors. Certains évènements, certaines fêtes, particulièrement importantes, vont soulever des débats houleux, et aussi des émotions, voir des angoisses. Au médiateur d’être vigilant pour ne pas bloquer toute la démarche autour d’un point sensible.

Ainsi l’exemple de cette femme qui fond en larmes au moment ou la médiatrice pose la question de Noël. « Je ne peux même pas l’imaginer. » dit-elle.

« Je vois, en effet, que ce n’est pas encore le moment. » répond la médiatrice. Il faut laisser au temps, le temps de faire son œuvre.
L’organisation pratique pousse à se projeter dans l’avenir, à imaginer autrement la vie familiale et les relations intra-familiales. Ce travail concret, après l’expérience de communication, aide à construire peu à peu des liens différents, en réponse aux situations de chacun. En effet, la question des liens est étroitement liée à la manière dont va être vécue la co-parentalité.

Le lien entre les deux parents

Lorsqu’il est question de l’intérêt de l’enfant, en principe tout le monde est d’accord. Mais lorsqu’on s’avance plus en détail sur les modalités du respect de l’enfant, les choses se compliquent. C’est pourquoi la co-parentalité est un exercice difficile.

Conclure des accords est nécessaire mais pas suffisant pour assurer un exercice harmonieux de la co-parentalité. En effet les enfants grandissent, leurs besoins évoluent; la vie des parents aussi va changer, ils vont peut-être fonder une nouvelle famille. Seule la volonté de maintenir une forme de lien parental peut assurer une continuité dans la prise en compte des besoins de chacun, et dans un exercice cohérent des responsabilités parentales.

Ce lien lui-même va évoluer au fil du temps. Au début de la séparation, le maintien du lien demande un effort, plus particulièrement à celui ou celle qui a besoin d’une coupure dans la relation pour en faire le deuil; à mesure que le temps passe cela deviendra plus facile.

L’objectif du maintien d’un lien entre les deux parents est de favoriser une sorte de partenariat pour partager les responsabilités parentales dans un esprit de collaboration et de respect mutuel, de telle façon que les préoccupations autour de l’enfant soient sorties du champ des ressentiments liés au conflit conjugal. Ainsi, le partage du temps de l’enfant chez l’un ou l’autre parent n’est pas soumis à un marchandage suspicieux, dans la crainte d’être victime d’une injustice, mais bien en réponse à des besoins d’organisation.

De même, concernant certains détails de la vie quotidienne, s’il est possible de se mettre d’accord sur l’heure du coucher, il est important d’avoir suffisamment confiance dans les capacités de l’autre à être un bon parent, pour ne pas tout remettre en question à chaque écart à la règle. Précisément, quand l’enfant sème le trouble en disant: « chez papa je peux faire ceci, ou chez maman j’ai pas besoin de finir mon assiette »; lorsqu’on est dans la confiance on peut lui répondre que chaque maison a ses propres règles, et que cela n’enlève rien à l’affection qu’on lui porte. Dans le doute il est possible de se concerter pour se mettre d’accord sur la conduite à tenir.

Concernant les points importants de l’éducation, l’orientation scolaire, les activités extra-scolaires, les questions de santé, il est bon que les parents puissent en discuter tranquillement avant de prendre des décisions. L’enfant se sent ainsi toujours digne d’intérêt pour ses deux parents, particulièrement lorsque ceux-ci ont constitué une nouvelle famille.
Dans ce cas, c’est important que les rôles et places de chacun soient respectés.

Il existe pourtant des situations ou le maintien d’un lien parental peut poser problème: dans le cas ou l’un des parents refuse la séparation et utilise le prétexte des enfants pour s’immiscer dans la vie de son ex-conjoint(e) et exercer sur lui une pression pour qu’il reprenne la vie commune. Lorsque l’un des deux, ne supportant pas l’idée de perdre l’autre, se livre à des manœuvres de manipulations pour conserver la maîtrise sur l’autre. Le médiateur pose la question des objectifs de la médiation; il peut décider d’arrêter la médiation, car il est arrivé aux limites de sa responsabilité, et des possibilités de la médiation familiale.

Avant d’arriver à de pareilles extrémités, il existe des situations intermédiaires avec une tentative inavouée de maintenir un lien autre que parental. Le médiateur doit évaluer la bonne foi et la motivation des personnes, pour savoir s’il peut continuer ou non la médiation familiale.
En dehors de ces quelques situations, le maintien d’une forme de lien parental donne à l’enfant un sentiment de sécurité, évite qu’il ne se sente divisé entre deux vécus disjoints, sentant qu’il n’est pas possible de parler dans une maison de ce qu’il a vécu dans l’autre sans risquer de provoquer un incident diplomatique !

Sans aller jusqu’à la construction de liens amicaux, le maintien de liens parentaux offre aux parents eux-même un soutien, quand arrive l’adolescence et ses réactions bruyantes face à l’autorité et aux contraintes de la réalité.
Le maintien de liens parentaux est dans la continuité du lien que chaque parent va construire avec son enfant après la séparation.

 

Le lien avec l'enfant

La séparation bouleverse la vie familiale; pour l’enfant c’est un grand chambardement, qui entraîne la peur de ne plus être aimé. L’enfant a besoin d’être rassuré sur l’amour que ses parents lui portent. Nous avons évoqué l’importance des mots pour signifier la séparation des parents à l’enfant. Tous les changements qui suivront devront être accompagnés de paroles d’explication de façon à le rassurer. Le sentiment de sécurité est indispensable pour maintenir un lien de qualité basé sur la confiance.

L’adulte doit être particulièrement attentif à maintenir l’enfant à sa place d’enfant dans cette période de changement, car le remaniement familial amène parfois l’adulte à confondre les places et à faire de l’enfant son confident; celui-ci, dans sa quête d’amour va accepter ce rôle. On ne saurait trop recommander aux parents en difficulté pendant cette période, de se faire aider par un accompagnement psychothérapique, pour ne pas faire porter à l’enfant le poids de leur désarroi.
Certains parents, malgré toute l’affection qu’ils portent à leur enfant, sont désemparés de se retrouver seul avec lui, car la relation parentale était portée par le couple. Commence alors, pour eux, l’apprentissage d’une relation singulière avec l’enfant, la construction d’un lien personnel.

Le parent met en jeu sa capacité à rencontrer son enfant en place de sujet, sans se comparer à l’autre parent, sans entrer dans des surenchères de cadeaux, de sorties extraordinaires, dans la simplicité d’un vécu quotidien. Cette expérience peut être très riche pour les deux. Lorsque le parent n’a pas vécu lui-même une grande complicité avec ses propres parents dans son enfance, cette découverte est un vrai bonheur. Une telle relation de confiance est une base solide pour faire face aux évènements futurs qui pourraient déstabiliser la relation par la suite.

L’entité « parents », avec laquelle l’enfant était en relation parfois de manière indistincte, laisse la place à deux individualités différenciées, avec chacune son cercle de relations. L’enfant, s’il est vraiment tenu en dehors des conflits des adultes, peut y trouver une diversité qui favorise l’ouverture d’esprit.

Dans Se séparer sans se déchirer , J. Dahan et E. De Schonen- Desarnauts donnent le témoignage d’un jeune homme de 27 ans sur son enfance :
Je vivais un grand truc libre, pas d’étouffement, j’ai eu plein de familles différentes et des parents intelligents, les liens étaient maintenus, ça ouvre l’esprit, on s’enrichit, les amitiés comptent plus que la famille, un divorce qui se passe bien, c’est plus enrichissant qu’une vie qui ne bouge pas.

Le témoignage enthousiaste de ce jeune homme ne reflète pas la majorité des cas. Même lorsque le conflit s’est apaisé, le lien peut-être menacé par une nouvelle relation de l’un ou des deux parents. Lorsque les enfants sont adolescents la part de rivalité et de séduction augmente dans la relation, et, s’il n’y prend garde, le parent se trouve mis en demeure de choisir son camp. L’adolescent demande beaucoup d’attention et des temps réguliers de relation privilégiée avec chaque parent, ou d’activités communes, devraient éviter qu’il ne se sente abandonné.

La naissance d’un nouvel enfant est un moment délicat dans une fratrie re-composée. C’est là que le socle de confiance et de sécurité joue son rôle, car, même si les parents veillent à impliquer tous les enfants dans l’attente de l’événement, l’enfant se sent menacé dans la place qu’il pense occuper auprès du parent qui a reconstruit une famille.

Le lien avec l’ex-conjoint, aussi, entre en jeu; par son discours il peut rassurer l’enfant, ou, au contraire, contribuer à l’inquiéter. Chaque événement nouveau dans la vie de l’un des ex-conjoints, ayant des répercussions sur l’enfant, interpelle l’autre ex-conjoint dans sa capacité ou non à dépasser ses ressentiments, pour soutenir l’enfant dans cette étape. Son discours sera très important: du coté de l’apaisement, ou au contraire, inducteur d’un sentiment d’injustice voir de jalousie, à l’égard du nouveau-né, ou de la nouvelle famille en général.

Les grands-parents

De la même façon que l’ex-conjoint, les grands-parents interfèrent dans les relations de l’enfant avec la nouvelle famille de ses parents séparés. La séparation affecte tous les liens familiaux. Il arrivent que les grands-parents prennent part au conflit des parents; ce qui laisse l’enfant encore plus isolé, dans un monde coupé en deux: les bons d’un coté, les mauvais de l’autre, et dans l’impossibilité de se confier, certain d’être incompris.

Pourtant, la relation aux grands-parents est importante pour la construction de l’enfant, son enracinement dans une appartenance familiale. D’ailleurs la loi protège les liens de l’enfant avec ses grands-parents. L’article 371-4 de la loi du 4 mars 2002 stipule: L’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seuls des motifs graves peuvent faire obstacle à ce droit.
Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non.

Dans cette période mouvementée, des grands-parents disponibles, ouverts, restés en dehors du conflit, forment un havre de paix, de confidences ou d’insouciance retrouvée, pour l’enfant dans la tourmente de la séparation.
Dans certaines situations le parent lui-même, conscient des propos dévalorisants des grands-parents sur son ex-conjoint, entreprend ses propres parents pour les amener à modifier leur discours dans l’intérêt de l’enfant.

Dans le contexte de la séparation, tous les liens susceptibles d’apporter un peu de stabilité à l’enfant sont précieux. Or, précisément, les grands-parents sont souvent le pivot des rencontres familiales, offrant des occasions de retrouver la famille élargie, de maintenir des liens. L’ambiance dans la famille élargie, les commentaires sur la séparation, vont aussi contribuer à en faire soit un drame insurmontable, soit un événement difficile à traverser.

La séparation du couple produit une onde de choc qui, par ricochet, touche toutes les relations du couple, les relations passées, mais aussi les relations à venir. Par un effet boomerang, l’enfant est au milieu de ces remous.

Famille co-optée

Parmi les relations futures se trouvent les nouveaux conjoints mais aussi leurs enfants, quand ils en ont. Cette expérience de quotidien partagé, lorsqu’elle est vécue sans la pression d’un conflit de loyauté, est un apprentissage de la tolérance, car les familles recomposées sont le creuset d’histoires différentes, d’habitudes, de manières de vivre différentes.

Les valeurs éducatives forment le domaine sensible, à haut risque de conflit. De l’humour, de la rigueur dans la souplesse, du dialogue permettent de désamorcer les bombes à retardement que sont: l’heure du coucher, la télé, les repas, les sorties…Mission impossible ? Là encore la qualité du lien, la confiance inébranlable dans l’amour parental, le respect des rôles et places de chacun sont des atouts pour faire cohabiter tout le monde dans la paix.

Pour réussir ce qui ressemble fort à un défi, il est bon que les adultes aient dépassé certaines étapes du processus de deuil, notamment que la colère se soit apaisée, de manière à laisser l’enfant libre de nouer des relations avec les membres de la famille recomposée. Plus le processus de séparation sera avancé plus l’adulte sera en mesure de choisir ce qui est dans l’intérêt de son enfant, sans arrière pensée de vengeance à l’égard de son ex-conjoint. La confusion cède la place au discernement, et son attitude saura être juste dans des conflits entre son enfant et les membres de la nouvelle famille recomposée.

Il arrive que la séparation touche une famille déjà recomposée; se pose, alors, la question des relations avec les membres de cette famille, avec laquelle l’enfant a vécu. Il a pu développer des affinités avec l’un ou l’autre avec lequel il souhaite maintenir des liens. En fonction de l’âge de l’enfant il sera plus ou moins facile de le laisser poursuivre cette relation. Qu’il s’agisse d’un quasi-frère ou une belle-mère, ou d’un beau-grand-père, qui s’est attaché à l’enfant; ce n’est pas une famille biologique, mais une famille d’élection, en quelque sorte.

Une fois le lien constitué, il ne se défait pas par décret; il se poursuit lorsqu’il est soutenu par des rencontres régulières. Par contre, il se distend lorsque les relations s’espacent, pour se resserrer à nouveau quand la fréquence des rencontres augmente. A condition, bien sur, qu’aucun discours ne vienne le pervertir. Particulièrement chez l’enfant, le lien est soumis au discours des adultes; soyons vigilant aux paroles prononcées devant les enfants.

 

 

Conclusion

Dans les situations de séparation, ou de rupture, souvent les personnes utilisent l’expression: je vais refaire ma vie; sous-entendue: meilleure !

Or la vie nous montre que lorsque l’on refait, ce n’est pas forcément meilleur, c’est très souvent pareil ! Pas toujours, heureusement; quand on a pris le temps de se mettre à distance, on découvre les failles des situations passées.
Plutôt que de faire fi de l’expérience passée, acceptons que le lien, construit avec celui ou celle dont on se sépare, nous accompagne, en filigrane, pour nous permettre d’en comprendre quelque chose.

C’est ce lien qui nous a fait parent, participant à la chaîne des générations, dans un rôle de transmission. A ce moment là, l’autre paraissait digne d’occuper sa fonction, il répondait aux représentations liées à cette tâche. Il (elle) semblait aussi trouver à l’un (une) les qualités nécessaires pour accueillir la vie et la chérir.

Ces compétences que chacun a accordées à l’autre, pour s’occuper de l’enfant commun, sont remises en question dans le grand chambardement de la séparation, pour des raisons de conflit, sans rapport avec les capacités de chacun.

Le vécu commun du couple, pétrit, modèle, transforme peu à peu les personnes; certains changements vont durer au- delà de la séparation. Les membres du couple sont porteurs d’une empreinte de ce vécu, comme sur les ardoises magiques des enfants: quand on efface il reste une trace légère.
Ainsi ce lien, malgré la séparation, perdure à travers l’enfant, dans les parents.*

Lorsque les parents ont traversé la période de turbulences de la séparation, qu’ils ont retrouvé un peu de stabilité, se sont retrouvés eux-mêmes, commence une ère nouvelle. Cette liberté mêlée de solitude est propice à l’émergence des désirs propres à chacun. Ils vont pouvoir construire la relation à l’enfant en fonction de leur manière de voir, dans leur propre style. Ils vont développer une façon personnelle d’être parent. C’est aussi ce à quoi les encourage la médiation familiale: qu’ils retrouvent la joie d’être parent.

Il arrive, en effet, que la situation soit tendue au point que certains sont tentés par la fuite des responsabilités parentales. La relation semble trop détériorée pour imaginer qu’il soit possible de dialoguer et l’enfant semble un obstacle de plus à la liberté. A ce moment-là une parole forte est nécessaire, qui conforte les parents dans leur rôle, réaffirme leurs responsabilités et l’indéfectible lien qui les unit à l’enfant. Il arrive que le médiateur familial en tant que tiers, vive des moments intenses où sa parole va sortir de sa réserve pour faire pencher la balance du bon coté.

Le médiateur familial accompagne la séparation pour désamorcer le conflit, de manière à protéger le lien. Au-delà de la gestion du conflit, le cœur du travail de médiation familiale concerne la relation. Se séparer de l’autre, qui nous constitue en partie, qui se trouve par ailleurs aussi dans l’enfant, sans briser le lien. Se séparer pour s’approprier ce à quoi on tient, ce qu’on désir faire vivre, y compris cette part de l’autre qui nous a enrichi; mais rompre avec ce qui nous fait souffrir, avec la part mortifère de la relation.

Le médiateur familial est là pour fixer des étapes, tenir compte des difficultés. Il accueille les émotions et la confusion qu’elles entraînent dans la pensée. Il est un point de repère fixe, par le rythme des rencontres et la solidité du cadre. Le médiateur apporte des ouvertures pour l’avenir, car il ne juge pas, n’enferme pas dans des présupposés. Il prend en compte les différences.

Au cours de la démarche de médiation familiale, les personnes se retrouvent dans un même lieu pour définir un minimum de points d’accord, et pourtant, pendant ce travail, ils traversent une épreuve particulière, propre à chacun, une épreuve de séparation. C’est le paradoxe de la médiation familiale: accompagner la séparation par la parole partagée et pourtant construire ensemble un projet parental pour l’avenir de l’enfant commun.
Construire un projet commun ne signifie pas: rester les mêmes parents d’avant la séparation, continuer de la même façon.

Les transformations amenées par la séparation vont entraîner des manières de faire différentes, différentes mais pas incompatibles. Ce qui est interrogé c’est la confiance de chacun dans les compétences parentales de l’autre. L’évolution qui est en route va se poursuivre et amener encore d’autres changements. Le projet commun sera soumis à révision régulièrement; il est donc nécessaire que les deux ex-conjoints trouvent des moyens de communiquer naturellement. A mesure que le deuil de la relation conjugale avance, que l’individualité s’affirme, une autre forme de relation peut s’instaurer, basée sur la responsabilité parentale partagée.

Un journal québécois raconte comment des couples séparés, qui pratiquent la résidence en alternance, ont développé des arrangements, des stratégies pour permettre à leurs enfants de profiter au mieux des temps passés chez papa et chez maman.
Il ressort de leur témoignage que la confiance est un élément indispensable; la confiance dans les capacités éducatives de l’autre, mais aussi la confiance pour répondre à une demande exceptionnelle de l’autre, sans procès d’intention. Un autre point fort qui ressort de ces expériences, c’est la communication; dans certains cas elle est spontanée: coup de téléphone au moindre problème, rencontre au café; dans d’autres elle est planifiée, comme par exemple dans l’un des témoignages avec l’instauration d’une réunion annuelle pour décider des règles de base concernant l’heure du coucher…

Les relations avec les nouveaux conjoints sont peu abordées, il semble que la place de chacun soit bien définie et respectée car il n’est pas fait mention de conflit.

Ce qui frappe, dans l’ensemble, c’est le sens de la responsabilité de l’éducation et du bien-être de l’enfant, mais aussi la joie de vivre, le bonheur de partager le quotidien des enfants, qui permet d’accepter les désagréments de l’organisation matérielle de la vie d’un enfant dans deux maisons. Ces ex-conjoints témoignent d’un grand respect mutuel, d’une ouverture à l’autre qui révèlent un lien certain entre eux.
Il n’est pas mentionné dans l’article si les personnes ont eu recours à la médiation familiale pour organiser la résidence partagée, mais on serait tenté de dire que ces témoignages illustrent un processus de séparation et d’individuation réussi.

A l’issue d’une démarche de médiation familiale, les personnes repartent avec un bagage d’expériences multiples, qu’ils pourront continuer à utiliser par la suite, dans de nombreux domaines.

La médiation familiale amène à bannir les termes d’impasse, de voie sans issue. L’apaisement et la pacification sont les mots clefs, dont le but est de favoriser les règlements à l’amiable et de rendre les parties plus responsables des conséquences de la rupture. (L'école de la paix, 13/09/2012 par Florent Blanc).

Par un accompagnement réussi, la séparation, épreuve difficile, peut devenir par la médiation familiale, par la rencontre du tiers médiateur, une ouverture vers soi et vers les autres, une redécouverte de la relation à l’autre, dans sa richesse et sa complexité, jusqu'à même une reconstruction des liens familiaux.*

Médiatrice Familiale D.E. Roseline Edelman

 

* Texte retouché : modifications, corrections, précisions et liens, effectués le 2 mai 2018 par Alain Bouthier.

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